Vanités
La peintures de Vanités est un genre particulier de nature morte à haute valeur symbolique, qui se développe au XVIIe siècle, particulièrement dans la peinture hollandaise à l'époque baroque.
Ce titre de Vanité et sa conception sont à rapporter à cette citation de l'Ecclésiaste : vanitas vanitatum et omnia vanitas (vanité des vanités, tout est vanité).
Elle se veut une invitation à méditer sur la futilité des plaisirs du monde face à la mort qui nous attend. Dans les vanités, les objets représentés sont tous symboliques de l’éphémère et de la fragilité des choses du monde : memento mori (souviens-toi que tu vas mourir).
De tous ces objet, le crâne humain, incontournable, est évidemment l'un des plus emblématiques. Mais se retrouvent aussi fréquemment
la chandelle en partie consumée, le sablier ou la montre, la bulle de savon, les fleurs fânées…
Le genre de la Vanité disparaît presque complètement au XVIIIe siècle, avant d’être repris par des artistes modernes au XXe siècle. Dans un contexte différent qui en modifie à la fois le traitement, l’intention et la perception, il est encore présent aujourd’hui dans l’art contemporain. Mais, affranchi des références théologiques et morales essentielles à la définition des Vanités du XVIIe siècle, il laisse place à une plus grande liberté d’interprétation de la part de l’artiste comme du spectateur.
La Vanité est un thème récurrent dans mon travail de peintre plasticien depuis mes débuts.
« Magritte, pour mémoire » de Jean-Louis Laurain.
Cette huile sur toile de format moyen (54 x 65 cm) représente un crâne humain ensanglanté et une rose déposés l’un à côté de l’autre dans une niche rectangulaire, reposant sur son grand côté, ménagée dans une paroi blanchâtre qui, dans sa partie supérieure, s’estompe et se fond dans un pâle ciel nuageux. Le crâne, auquel manque le maxillaire inférieur, porte une tache de sang rouge vif sur le bord extérieur de l’orbite gauche. Il gît dans le fond à droite de la cavité murale alors que la rose, fraîchement coupée, repose au centre, à l’extrême limite extérieure de la paroi, presque en équilibre instable. Les deux objets reçoivent un éclairage cru venant d’une source située à gauche, juste sous la ligne d’horizon, ce qui place la majeure partie de la niche dans l’ombre. Irréaliste, celle-ci est de couleur bleue.
L’auteur a donné à cette œuvre le titre « Magritte, pour mémoire ». En 1948, René Magritte (1898-1967) a peint une huile (60 x 50 cm) intitulée « La Mémoire » (Coll. Etat belge). Elle représente, sur fond d’une tenture pourpre, d’une étendue marine et d’un ciel nuageux, une tête de femme en pierre ou en plâtre semblant saigner de la tempe gauche, posée sur un muret à droite d’une feuille d’arbre et d’un solide composé de deux hémisphères superposés. Comment une statue pourrait-elle saigner ? Pourquoi la mémoire doit-elle se traduire par un saignement ? L’image créée par Magritte est demeurée mystérieuse. Ce mystère a survécu à son auteur.
La toile créée par Jean-Louis Laurain reprend quelques éléments de la composition de Magritte. Mais l’œuvre commentée n’est ni un pastiche, ni une réappropriation et encore moins une citation. En vérité, Laurain semble pousser la non logique surréaliste jusqu’à ses conséquences les plus absurdes, en apparence. Si la statue de Magritte saigne, c’est qu’elle est mortelle. Si elle est mortelle, elle ne laisse qu’un crâne après la mort. Mais pour autant l’hémorragie persiste. Est-ce la mémoire qui disparaît ou le souvenir qui perdure ? Pas plus qu’une statue, un crâne ne saurait toutefois perdre du sang. Laurain montre ainsi qu’il a perçu que le seul véritable objet du tableau de Magritte est cette tache rouge incongrue. Le spectateur doit se souvenir de cette macule, en rechercher la clé, quitte à ne retenir l’auteur que pour mémoire.
La « vanité » est un genre pictural que Jean-Louis Laurain affectionne particulièrement. Mais la signification du tableau de Laurain ne s’épuise pas dans l’évocation de la condition humaine. On peut porter sur « Magritte, pour mémoire » le même jugement que Philippe Roberts-Jones porta sur la série des « Perspectives » de Magritte (Magritte poète visible, Bruxelles, 1972). En 1950, Magritte peignit plusieurs toiles imitant des peintures célèbres de David, Gérard et Manet, dans lesquelles les personnages étaient remplacés par des cercueils. Commentant « Le Balcon de Manet », Roberts-Jones (p. 53) affirme qu’ « il est certain que cette œuvre n’ouvre pas qu’une « perspective » sur la condition humaine, ce qui en limiterait sa portée à celle d’une simple vanitas contemporaine. Les résonances sont plus complexes, dépassent aussi la parodie (…) ». Volontairement ou non, Laurain a suivi la même voie conceptuelle que Magritte. En effet, à l’instar de Madame Récamier ou des bourgeois parisiens peints par Manet, le modèle de Magritte n’est plus de ce monde lorsque Laurain réalise sa toile. Il ne peut donc en représenter que la dépouille et il dépose aux côtés de celle-ci la rose que la culture cinématographique assigne comme attribut des funérailles ou du souvenir. A la différence de Magritte, Laurain déplace la scène originelle et expose le crâne dans une niche telle une relique. La composition de la vanitas traditionnelle serait banalement parfaite, n’était cette tache rouge. C’est ici que Laurain rejoint Magritte dans un même élan iconoclaste « pour mettre en question, de manière fondamentale, la convention, qu’il s’agisse du réel ou des apparences, ou encore de leur représentation » (Roberts-Jones, op. cit., p. 54). Mais la remise en question de Laurain transcende celle de Magritte grâce à une plasticité inédite dans l’œuvre du maître belge. A la superposition des formes, Laurain préfère la fusion progressive par estompement des masses. Il détourne de sa fonction le célèbre sfumato renaissant pour aboutir à une tout autre interprétation du sujet de l’œuvre. Si la mémoire persiste, quoi qu’il arrive, même sur une tête pétrifiée, même au-delà de la mort, dans le même temps, les souvenirs s’évaporent, les contours s’estompent.
Au bout du compte, l’œuvre pleinement surréaliste de Laurain apparaît comme un hommage à Magritte qui doit très peu à celui-ci, sauf que Magritte était manifestement toujours « en » mémoire.
Alain Rezette